37 ans, Charles Innocenti est à37 ans, Charles Innocenti est àla tête de Livio et de Più, PMEde 56 personnes. Portrait d’unhomme passionné, qui vit à100 km/heure pour concilierrestauration et vie de famille.Livio, c’est une institution àNeuilly, 600 couverts par jour, le restaurant incontournableoù l’on croise toujours quelqu’un qu’on connaît et qu’onaime bien. C’est une histoire de fils, c’est une histoire defrères. D’abord il y a Livio Innocenti qui reprend cette petiteéchoppe de 17 couverts en 1964. Ensuite ses fils, Alfio etVittorio. Ils y travaillent toute leur vie, en veillant sur leurcomplémentarité. Scolarisé à Charcot puis à Sainte-Croix,Charles est à Neuilly comme un poisson dans l’eau. Avecson frère, Pierre, ils ont toujours baigné dans la restauration.“ On était commis, on faisait la plonge, on y déjeunait entreles cours.” Une fois majeur, il passe son premier été en tantque chef de rang, ce qui lui permet de se payer des vacances.Et même s’il rêve de faire l’école hôtelière (comme sonfrère) il bifurque vers Dauphine. Mais ce n’est pas pourlui, il finit par rejoindre Lausanne à son tour. Son diplômeen poche, une furieuse envie le taraude, celle de passer àla pratique. Pendant 3 ans, il offre son aide à plusieursrestaurants (Michel Rostang, Alain Ducasse, Café Armani).Tout ce qui compte c’est d’apprendre, apprendre encore.En 2007, son père et son oncle lui proposent de rejoindreLivio. Ils lui donnent carte blanche. Le jeune homme s’attèleà redresser la barre de la cuisine. Il met à plat les recettes,mise sur le tout fait maison, innove tout en respectantl’histoire “de cette vieille maman qui s’adapte toujours.”Stéphane Albertini, vieil ami de la famille, rejoint l’aventure
Et puis Pierre. C’est le tour de la nouvelle génération. Les
deux frères rachètent l’entreprise familiale en 2012. Charles à
30 ans, Pierre 37. Ces années là sont pour tous les habitués,
des années fastes. Quelle joie d’être accueilli par le trio
charmant, jeune, sympathique, bourré d’énergie, toujours
souriant. Entrer chez Livio c’est basculer dans une bulle de
rires et de joie de vivre, celle de la famille Innocenti qui se
partage de table en table. Le 13 novembre, affreuse date,
terrible date, l’histoire familiale bascule avec le drame du
Bataclan. Pierre et Stéphane assistaient au concert des Eagles
Death Metal. La France, le monde entier, est en émoi. Les
neuilléens aussi. Tout le monde défile devant le 6 rue de
Longchamp pour déposer fleurs et lettres de condoléances.
L’entrée du restaurant est devenue un mausolée. Charles
se tient droit, fort. Il n’a pas le choix, il faut continuer,
on lui a pris assez. Modèle de résilience, le jeune homme
retrousse ses manches : “J’avais besoin de solitude, d’être en
famille, mais je ne pouvais pas, il fallait payer les employés, les
charges... c’était une période hors du temps.” Ce formidable
soutien collectif le porte, l’aide à avancer malgré la douleur.
Son meilleur ami Arthur, sa femme Johanna, son premier
soutien. “Sans elle je ne serai pas là où je suis, c’est la femme de
l’ombre, toujours à mes côtés”. Avec Johanna, Charles devient
père de 2 garçons, Eliah et Gabriel. Peut-être rejoindrontils
un jour la cantine familiale ? Ce qui est sûr, c’est que
Charles leur transmettra le goût des valeurs, du service, de
la gourmandise, du dépassement de soi.
À son bras, un grand tatouage coloré réalisé par un illustre
maître japonais. Ça faisait longtemps que son frère et lui
rêvaient d’être tatoués. Il le fera quand même, et aussi pour
Pierre. Un exercice long et douloureux qui lui vaut 3 voyages
à Tokyo, et 8 sessions de 10 heures. Sur le bras de son coeur,
une catharsis. Un phénix symbolise la résurrection de son
frère dans sa chair et une divinité bouddhiste incarne la
sagesse qu'il lui apportait. Charles combat la tristesse dans
l’action, “enfiler son tablier fait du bien, ça permet de ne pas
penser. Chaque jour, c’est un nouveau lever de rideau.” En
2016, il décide de faire “les plus gros travaux de l’histoire”, de
refaire le bar, la terrasse, les cuisines. “Certains ont eu du mal
à accepter qu’on change “le poumon du restaurant mais il faut
savoir que la personne qui aime plus ce restaurant : c’est moi.
Ce restaurant c’est ma vie”. Charles forme, délègue, organise,
supervise, il bouillonne d’idées, va à gauche, à droite, ne
répond pas au téléphone. Il n’a pas le temps. A côté de Livio,
il ouvre une épicerie avec son ami Arthur aux commandes.
“Più”, c’est 1 an ½ de travaux. “On voulait que les clients
mangent aussi bien à la maison qu’au restaurant”. Encore
une fois, c’est un succès, et Charles envisage d’en ouvrir
un 2e, cette fois dans Paris. Par contre il n’y a, et il n’y aura
toujours, “qu’un seul Livio”. Si les projets grouillent, Charles
rêve de sa cuisine, il veut continuer de faire progresser la
carte, de travailler les ardoises de saison, il veut en revenir
aux mains, à la création. Sa madeleine de Proust ? Il répond
avec un grand sourire : “le cocktail de pâtes et les scampi fritti”.
Charles Innocenti c’est un mélange bien dosé de rigueur,
de sérieux, de charme et de gentillesse. C’est un homme
enfant, un chef d’orchestre qui aime faire des boeufs avec ses
amis, jouer au golf (même s’il n’a pas le temps) et regarder
les avions avec ses fils, plaine de Bagatelle. L’énergie de la
vie, et de la survie.